Parlons un peu
d’un phénomène musical hautement intéressant, que tout un chacun n’aura pas
manqué de remarquer : les opérations « promo » menées par les
disquaires. Intéressant, en effet, alléchant même : qui peut décemment
résister à l’envie d’acquérir, une fois le tri fait et les horreurs ne valant
même pas un centime écartées, d’excellents disques à bas prix (entre 5 et 12 € pour la
plupart, le prix étalon de ces opérations étant le très fréquent « 8.99 € ») ?
Beaucoup de gens, nous sommes d’accord. Mais surement pas moi
et j’ose espérer qu’il en est de même pour vous, qui lisez ces lignes. Bref. Ce
phénomène a un impact particulièrement décisif sur deux générations, deux
groupes d’amateurs de musique bien particuliers.
Tout d’abord, honneur aux
anciens. Ceux qui ont connu l’ère glorieuse de l’avant-Cd sont des cibles
idéales pour ces opérations. En effet, elles leur offrent l’opportunité de
racheter leurs classiques préférés (les Rolling Stones, les Byrds ou encore les
Beach Boys sont des références que l’on croise régulièrement dans les bacs à
soldes) à bas prix, ce qui leur évitera d’user un peu plus encore leurs beaux
vinyles, objets certes décoratifs mais dont le caractère périssable est
indéniable. Evidemment il y en aura toujours pour dire que « ah ben oui
mais le son est plus beau, plus chaud avec les vinyles ». Possible. C’est
sûr que, lorsqu’à force de craquements, les galettes noires sonnent comme des
feux de cheminées, il se peut qu’inconsciemment on commence à ressentir de la
chaleur. Mais nous nous éloignons du sujet.
La seconde génération-cible pour
les opérations « promo » : nous, les jeunes de l’ère du graveur,
dont la collection de disques-fi. C’est peut-être triste.
N’empêche que niveau démocratisation, on fait difficilement mieux, et que
désormais toutes mes ex-petites amies possèdent, entre le dernier Vincent
Delerm et leurs vieux singles des Spice Girls (« oui, mais j’étais
jeune ! », et alors ? les poubelles c’est fait pour quoi ?),
au moins un exemplaire de « Unknown Pleasures » de Joy Division,
assorti d’un Godspeed You ! Black Emperor ou d’un Fugazi. Le strict
minimum quoi. Bref. Recentrons le sujet. Si beaucoup d’entre-nous sont toujours
dans leur phase « seule la musique compte, elle est gratuite sur Internet,
pourquoi acheter des disques ? », peu à peu, l’esprit du
collectionneur reprend le dessus. Lassés de voir s’accumuler dans leur
discothèque personnelle les tranches de Cds écrites à la main et les pochettes
photocopiées, d’aucuns se mettent à rêver de racheter un jour toutes leurs
références. Or, c’est plus ou moins ce que leur proposent ces fameuses
opérations. A votre avis, pourquoi retrouve-t-on souvent dans les bacs relayant
les promos la totalité des albums de Nirvana ? Les fans d’époque avaient
acheté « Nevermind » en 1991. Mais ils l’ont depuis gravé à leur
petit frère, à leur petite cousine, à leurs parents qui ont toujours hésité à
lâcher 17 € pour enfin le posséder « en vrai ». Lorsque le prix se
trouve réduit de moitié, les réticences se font plus légères et il n’est pas
rare qu’elles craquent face à l’envie. C’est diabolique. Oui, mais c’est
tellement bon de remplacer la copie par l’original. Cette petite fierté
maniaque nous emplit de joie. A cet instant, l’adolescent gravophile a passé
une étape. Il accède à la catégorie des collectionneurs et fait définitivement
une croix sur son entrée dans celle des adultes. Il n’y a qu’un pas du furetage
dans les bacs à soldes, à la recherche de la « vraie » version de
« Psychocandy » de The Jesus & Mary Chain, à la fouille
compulsive des piles de vinyles lors des conventions de collectionneurs, dans
une quête (désespérée, soyons réaliste) de l’édition américaine originale de
« Fun House » des Stooges.
Bienvenus chez les fous. On y est très bien.
A cet instant, vous vous demandez : « mais où veut-il en
venir ? » C’est très simple : aux disques dont j’ai fait
l’acquisition lors de mon dernier passage du côté des promos. Un conseil aux
néophytes : tenez-vous en éloignés, on y touche une fois et puis on est
grillé, condamné à passer le reste de sa vie à inspecter constamment ces foutus
bacs en espérant retomber sur cet album de Slint à 8 € (pourquoi je ne l’ai pas
acheté ? pourquoi ?!!!!?). Bref, encore une fois. Les opérations
promo réservent toujours de bonnes surprises. L’autre jour, j’ai eu la joie d’y
trouver cinq excellents albums.
« Songs for the
deaf » des Queens Of The Stone Age, pour commencer. Comment ai-je pu vivre tout ce temps sans posséder
un original de cette merveille de rock déjanté ? Oh, bien sûr, j’ai usé
jusqu’à la moelle ma copie sur Cd-r. J’ai dû écouter « No one knows »
un demi million de fois. Mais quel bonheur de revenir ad domus avec ce boîtier
cristal, même s’il faut dire que l’artwork est laid à pleurer. C’est le geste
qui compte.
Deuxième trouvaille, qui n’en est pas une, tant la bête est monnaie
courante dans les bacs à soldes : « Dummy » de Portishead. Un
classique pour ma génération. Mais combien d’entre-nous l’ont acheté ? Ca
y est, je l’ai fait. Je sais pas vous, mais je me sens vachement mieux.
Troisième
choix, plus rare : le premier album, éponyme, de Tom Mc Rae. Ca en fera
peut-être rire certains, mais moi cela m’émeut. Les morceaux y sont superbes,
Mc Rae reprenant, en les actualisant, les choses là où Chris Isaak, s’étant
égaré en chemin, les avait laissées avec « Wicked Game ». Une voix
déchirante, des sonorités un peu faciles, certes, mais tellement efficaces, un
vrai talent de songwriter (« You cut her hair » est un bijou, tout
comme « Sao Paulo Rain »), que demander de plus ?
Quoi qu’en
disent les moqueurs, ce disque est beau.
Na !
Quatrième étape : « Murray
Street » de Sonic Youth. Partant du principe que tout ce que fait Sonic Youth est superbe, on peut décemment acheter tous leurs albums. Personellement,
celui-ci reste mon préféré. C’est le premier que j’ai écouté (eh oui chers
amis, j’avais quatre ans à l’époque de « Goo »), et les mélodies les
plus belles, à mon sens, jamais écrites par les new-yorkais sont sur ce disque.
« The empty page » est une perfection rarement atteinte en pop-music.
Si je le dis, c’est que c’est vrai.
Enfin, last but not least, un classique, un
vrai : « Five leaves left » de Nick Drake. Si vous ne comprenez
pas ce qui peut pousser les gens à écouter la folk dépressive de Nick Drake, c’est
que vous n’y avez jamais tenté une oreille, auquel cas il est temps d’y
remédier. Après tout, les opérations promo sont également là pour ça : ce
disque dont vos amis vous ont tant et tant rabâché les oreilles, sans jamais
pour autant vous en avoir fait écouter une seule note, vous pouvez l’acquérir à
peu de frais et enfin leur balancer en travers de la gueule : « non,
moi les mecs qui pleurent sur leur guitare acoustique en se flagellant avec les
cordes, ça m’intéresse moyennement ».
Mais si vous faites ça, alors je ne réponds plus de rien.
Clint